Analyse de marché (Securibourse)

par JF @, samedi 13 janvier 2007, 08:48 (il y a 6316 jours)

Par JB - Oddo

Bien que brillants, les résultats 2006 des sociétés américaines se situent dans un modèle de croissance qui s’est dégradé

Les résultats du troisième trimestre aux États-Unis ont été la clé du comportement des marchés depuis le mois de juillet jusqu’à la fin de l’année 2006. Ils constitueront sans doute la base du comportement des marchés en 2007. En progression régulière trimestre après trimestre, les résultats des sociétés ont conforté les opérateurs dans l’idée que le ralentissement de l’économie américaine ne les atteindrait pas. Ainsi, les perspectives de hausse des marchés n’avaient-elles pas de raison d‘être remises en cause.
Pour que ces opérateurs optimistes, aujourd’hui largement majoritaires, continuent d’avoir raison, ces résultats doivent être confirmés en 2007. Or, il faut rappeler qu’aux deuxième et troisième trimestres 2006, ces résultats ont tenu du "miracle". De plus, ces résultats miraculeux n’entretiennent plus le modèle de croissance vertueux des années 2002- 2005.

Retour sur le scénario des deuxième et troisième trimestres
Au deuxième trimestre, l’économie américaine a commencé à ralentir, autour de 2% l’an. Ce début de ralentissement avait commencé à impacter les résultats d’exploitation, touchant les marges et annonçant en quelque sorte le début du retournement du cycle des marges après 5 ans de progression.
Même si les résultats publiés avaient résisté, les marchés s’étaient inquiétés de la dégradation des marges en mai et juin, avec des baisses de 10 à 15% aux États-Unis et en Europe, et de 20 à 30% sur certains marchés émergents.
Au troisième trimestre, le ralentissement s’est poursuivi, au rythme de 2% l’an. Mais, contrairement à l’impact que nous attendions dans la continuité du second trimestre, la poursuite du ralentissement fut sans effet sur les résultats du troisième trimestre.
Au contraire, les marges ont rebondi et ont atteint leur niveau le plus élevé depuis 1966. Les résultats d’exploitation ont encore fortement progressé, entraînant les résultats nets dans leur mouvement.
Ainsi, ce ne sont ni la baisse des prix du pétrole, ni les perspectives de baisse des taux d’intérêt qui ont entraîné le rebond des marchés comme les observateurs l’ont souvent affirmé, mais cet étonnant comportement des résultats des sociétés américaines qui a complètement surpris les opérateurs qui avaient commencé à sortir massivement des marchés au printemps.
Par quel miracle les résultats d’exploitation ont-ils fortement progressé en période de net ralentissement de la croissance aux États-Unis >

Retour sur les données du troisième trimestre
Au troisième trimestre, le PIB a progressé de 2.1% en volume et de quelques 4% en valeur.
Mais, les 9 000 entreprises qui entrent dans la base de la comptabilité nationale et représentent la moitié du PIB du pays, ont vu leur propre valeur ajoutée (PIB) progresser de 8% en valeur.
Première surprise, les plus grandes entreprises du pays ont ainsi assuré l’essentiel de la croissance nationale. Cette progression double de celle de l’ensemble de l’économie implique en effet que le reste de l’économie (petites entreprises, commerces, activités financières, agriculture et administrations) a stagné au troisième trimestre.
Deuxième surprise qui semble être passée totalement inaperçue dans l’euphorie des marchés, le partage de la valeur ajoutée par les entreprises s’est effectué à leur seul profit. L’augmentation des salaires a été, en effet, limitée à 4.5 % en rythme annuel, légèrement supérieure à celle du PIB national, alors que la variation des résultats bruts d’exploitation a été proche de 17% ! Cette progression des résultats d’exploitation explique l’essentiel de la progression des résultats nets déclarés (+19%) qui nous paraissait très étonnante. De leur côté, après leur repli du second trimestre, les marges d’exploitation ont affiché un niveau record(30.5%), supérieur à celui du premier trimestre 2006 et seulement surpassé par celui de 1966 au cours des 40 dernières années.

Une situation très bien accueillie par les marchés
Il semble que les analystes de marché ne se sont pas beaucoup préoccupés de la façon dont les sociétés ont réalisé des bénéfices exceptionnels en plein ralentissement économique. Pourtant, il s’agit d’un véritable exploit qu’il eut été impossible de réaliser en d’autres périodes. Les grandes sociétés ont en effet très bien géré les problèmes que leur posait l’insuffisance de croissance domestique et ont parfaitement su compenser la faiblesse de la productivité qui en découlait. Elles ont probablement réussi cet exploit en profitant notamment de l’effet extraordinairement positif des délocalisations (cf. sur le sujet le flash d’août 2005). Ces dernières ont à la fois permis aux entreprises de maîtriser les progressions de salaires dans un environnement de plein emploi et surtout de créer un supplément de valeur ajoutée provenant de l’augmentation de l’écart entre des ressources délocalisées moins chères et les prix de marché qui ne répercutent pas la baisse des coûts des ressources délocalisées.
Cette situation très confortable des grandes entreprises qui délocalisent massivement peut s’ériger en "système" dans lequel les plus grandes entreprises accaparent la valeur ajoutée et les petites entreprises, sous-traitants locaux, disparaissent et contribuent ainsi à réduire à zéro la croissance du PIB hors grandes entreprises.
Ce système, que l’on retrouve en Europe, est à l’évidence très apprécié dans l’immédiat par les marchés qui s’intéressent essentiellement aux grandes entreprises. Mais, peut-il s’inscrire dans la durée dans la mesure où il ne concerne apparemment que la moitié de la production nationale >

Un système qui est en train d’évoluer
Depuis 2001, la croissance globale générée par l’économie américaine s’est située au-dessus de la tendance longue et, associée à des délocalisations de plus en plus nombreuses, a largement contribué à développer les excédents d’exploitation des sociétés.
Jusqu’en 2005, ceux-ci ont été principalement réinvestis en technologie, entretenant la croissance globale à travers les investissements dont ont bénéficié ces secteurs. Ce modèle de croissance a alors fonctionné parfaitement aux États-Unis, entretenant des taux de progression annuels en volume de quelques 4%, réduisant le chômage à moins de 4.5% et entraînant les autres économies dans le monde.
Depuis la fin 2005, les investissements en technologie ne progressent plus au rythme des résultats d’exploitation (7% contre 17% au troisième trimestre). Les investissements de structure pourraient compenser cette relative faiblesse comme le montrent les chiffres du troisième trimestre (+10%), mais ce mouvement relève plutôt du rattrapage et devrait rester limité.
En fait, un autre modèle est en train de s’installer, plus conforme à un retournement de cycle, celui de la multiplication des investissements financiers.
En effet, aux États-Unis comme en Europe, les résultats d’exploitation sont de plus en plus souvent employés par les sociétés, soit en rachats de leurs propres actions, soit en prises de participations ou en acquisitions, parfois démesurées et excessivement chères.
À l’évidence, ce mode de comportement satisfait les marchés dans l’immédiat.
Les rachats de leurs propres actions, permettent aux sociétés d’assurer une croissance plus rapide des bénéfices par action, et les fusions-acquisitions, qui n’épargnent aucune catégorie de valeurs, entretiennent une spéculation effrénée qui se trouve concrétisée suffisamment souvent pour qu’elle se poursuive et s’amplifie.
Mais, ce modèle d’utilisation des cash-flows, basé sur l’efficacité des restructurations, ne constitue qu’un pis aller par rapport au modèle de croissance 2002/2005 dont l’investissement en technologie des excédents d’exploitation générait de la croissance globale.
On peut supposer, en effet, qu’à terme, un modèle qui propose essentiellement des opérations financières de concentration du capital aboutit à un rétrécissement du tissu économique et, s’il permet la poursuite immédiate de la croissance des bénéfices par actions, il pourrait, à terme, mettre en cause la croissance tendancielle de ces dernières années.
À terme les PE des marchés devraient sanctionner un tel système. Sanctionnant un système de croissance devenu moins lisible, ils pourraient reprendre leur tendance baissière de 2004-2005 aux États-Unis et rester modérés en Europe.

En conclusion, notre modèle de prévision de la tendance bénéficiaire inscrite dans le cycle des marges a été pris en défaut au troisième trimestre 2006 par une économie évoluant à deux vitesses.
L’efficacité remarquable de la gestion des grandes entreprises américaines qui assurent 50% du PIB du pays leur a en effet permis de poursuivre leur croissance au rythme de 8% l’an en valeur dans un environnement de quasi-récession pour les 50% restants. Elles ont ainsi pu dégager des bénéfices d’exploitation inespérés.
Cet "exploit" des principales entreprises américaines est-il renouvelable >
On serait tenté de répondre par l’affirmative en se référant au système mis en place s’appuyant sur les investissements réalisés en technologie dans le passé et sur les délocalisations entreprises depuis plusieurs années et qui portent leur fruit aujourd’hui en termes d’efficacité.
On est plus circonspect si l’on considère que les problèmes de fond du cycle en cours ne sont pas vraiment réglés par la performance des grandes entreprises qui génèrent beaucoup de liquidité sans emploi et alimentent une inflation de la valeur des actifs. Par ailleurs les tensions demeurent sur le marché du travail et la pression des salaires risque
de gêner les plus petites entreprises qui ne peuvent pas récupérer de marge sur les coûts "délocalisés".
Elles risquent de reporter dans les prix la progression de leurs coûts salariaux, ce que craint officiellement la FED. Mais, en ont-elles vraiment la capacité >

En tout cas, la FED se trouve prise entre deux options. Soit elle "aide" la moitié de l’économie qui en a déjà besoin en entamant la baisse des taux directeurs, soit elle privilégie la maîtrise de l’inflation des actifs pour maintenir, voire augmenter, les taux directeurs. Il faut sans doute envisager l’analyse de la politique de la FED à la lumière de cette notion d’économie à deux vitesses qui plaide sans doute pour ne pas modifier le dispositif actuel au cours des prochains comités monétaires.
En attendant, les résultats des entreprises les plus performantes peuvent soutenir les indices, mais dans un environnement qui reste instable.

Merci, très intéressant et semblant pertinent

par Villas / Minos, samedi 13 janvier 2007, 09:44 (il y a 6316 jours) @ JF

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